Comprendre l’économie mondiale

Comprendre l’économie mondiale
Séries d’articles issus du journal L’Echo, mais pas que.
Aujourd’hui, la Chine. La chine, c’est 50 % des échanges commerciaux mondiaux.
L’état de santé réel de l’économie chinoise – Le bilan anti-corruption – le grand chantier de Xi depuis 10 ans (soutien aux entreprises d’Etat, moins de marge aux entreprises du secteur privé, plus de richesse redistribuée à la classe moyenne).


Xi Jinping veut poursuivre le virage à gauche
Par Sébastien LE BELZIC. 13/10/22
Figure : Brigade sanitaire, avec la légende : Le Fonds monétaire international (FMI) a revu à la baisse mardi ses prévisions de croissance pour la Chine cette année et la suivante, en raison d'une crise sans précédent dans l'immobilier et des restrictions sanitaires qui pèsent sur l'activité. EPA-EFE
Le résumé
§  L'économie chinoise souffre.
§  En cause: une crise sans précédent dans l'immobilier et des restrictions sanitaires drastiques.
§  Xi Jinping s’est engagé depuis cinq ans à gauche toute dans une volonté de reprendre le contrôle sur un secteur privé jugé trop puissant.

Xi Jinping a imprimé sa marque sur l'économie comme peu de dirigeants chinois avant lui – au risque d’un grand bond en arrière économique. L’objectif de Xi Jinping de doubler le PIB et le revenu par habitant d'ici 2035 figurera à l’agenda du 20e Congrès du Parti, mais la méthode reste à définir.
Pour Xiao, c’est la double peine. Ce modeste coiffeur de Gongti, un quartier commerçant de Pékin, a vu débarquer en pleine nuit une brigade d’agents sanitaires en combinaisons Hazmat – de protection chimique – intégrales. "Il était plus de minuit, ils m’ont dit qu’un cas contact avait été identifié dans mon quartier et que je devais partir immédiatement en centre d’isolement". Le voilà donc embarqué manu militari dans un bus, avec sa femme et son fils de 4 ans, direction un centre de quarantaine dans le sud de Pékin où ils resteront enfermés 7 jours. "J’ai dû fermer mon salon et ils m’ont obligé à payer 6000 rmb (870 euros) pour sa désinfection. Pour moi, c'est une catastrophe".
Le même scénario se répète dans tout le pays depuis l’arrivée du variant Omicron au printemps dernier. En quelques heures, des quartiers entiers sont bouclés, des commerces et des bureaux fermés. Les artisans et les petits commerçants sont les premières victimes de cette politique dite "zéro covid" qui, à quelques jours du 20e congrès du Parti communiste, s’est encore renforcée avec l’interdiction notamment d’entrer dans Pékin depuis une autre province. Résultat: le pays est au bord de la récession. La consommation des ménages qui devait porter la croissance s’effondre et le chômage explose, un jeune sur cinq est sans emploi. Seules les entreprises d’État ont les reins assez solides pour tenir, mais elles représentent moins de 20% des emplois.

Un repoussoir pour multinationales
La Chine qui a longtemps fait figure d’eldorado est même devenue un repoussoir pour nombre de multinationales qui, quand elles le peuvent, délocalisent sous des cieux plus cléments: Singapour pour le secteur bancaire ; le Vietnam et l’Inde pour les usines gourmandes en main d’œuvre comme Apple, Samsung ou Nike. Ne restent au final que ceux produisant directement pour le marché chinois.
"Les récentes épidémies de Covid-19 et les fermetures rapides qui ont suivi ont fait disparaître l’une des choses sur lesquelles la plupart des entreprises pouvaient compter: un environnement stable et relativement prévisible", indique une note de la Chambre de commerce britannique en Chine publiée en mai dernier. Selon une enquête de la Chambre de commerce de l’UE réalisée au même moment, 23% des entreprises interrogées envisagent de déplacer leurs investissements actuels ou prévus hors de Chine. "Pratiquement aucune nouvelle entreprise européenne n'a choisi d'entrer sur le marché chinois ces dernières années", note la Chambre.

Le FMI abaisse ses prévisions de croissance

"Il n'y a pas de signes clairs indiquant que Xi Jinping va changer sa politique zéro covid au début de son troisième mandat", explique Alicia Garcia Herrero, économiste chez Natixis. Sa banque prévoit que cette stratégie coûtera à elle seule deux points de croissance à l'économie chinoise cette année en réduisant à la fois la mobilité et la consommation.

À gauche toute

Mais le covid n’est pas le seul responsable des difficultés économiques. Sous la direction de son président tout-puissant, la Chine s’est engagée depuis cinq ans à gauche toute dans une volonté de reprendre le contrôle sur un secteur privé jugé trop puissant.
"Avec Xi Jinping, l’idéologie prime sur l’économie", explique le sinologue Alex Paquette président du cabinet de conseil Cercius. "De son point de vue, c’est une grande rectification de la politique d’ouverture entamée dans les années 80. Il veut revenir à des réformes basées sur le seul développement du secteur étatique". Ce retour vers une ligne très à gauche a bénéficié au secteur public. Les actifs des entreprises d'État ont été multipliés par 2,6 pour atteindre 38.300 milliards de dollars!
Le "Xinomics", comme on surnomme la pensée économique de Xi, est un cocktail de politique industrielle et de soutien aux entreprises d'État qui laisse peu de marge au secteur privé. "La tendance générale est davantage à la préférence nationale et au maintien d’un rôle fort du Parti dans l’économie, constitutif du système économique chinois", assure la sinologue Alice Ekman.
Mais cette politique visant à la victoire totale du socialisme sur le système capitaliste a eu pour conséquence de faire exploser la dette qui est passée de 150 à 273% du PIB, selon Natixis, en 15 ans. En cause, des milliards de dollars investis dans des infrastructures superflues, telles que des systèmes ferroviaires trop ambitieux, des routes et autoroutes sous-utilisées, ainsi que des stades et des bâtiments administratifs gigantesques, mais inutiles.
Sans compter les investissements à perte dans le secteur immobilier résidentiel, notamment les immeubles remplis d'appartements vides achetés uniquement pour des raisons spéculatives. Le taux moyen d'inoccupation des logements dans les 28 grandes villes chinoises atteint 12%, soit un taux supérieur à celui des États-Unis, de la France, ou de la Grande-Bretagne, selon un rapport publié en juillet par le Beike Research Institute.
"L’immobilier représentant 30% du PIB, il est inévitable que toute contraction brutale du secteur entraîne un ralentissement qui s’étend à tous les pans de l’économie", note le cabinet Trivium China. "Cela est particulièrement vrai pour les collectivités locales, pour lesquelles les ventes de terrains constituaient la principale source de revenus, pour les ménages, qui ont soudainement commencé à craindre que les prix n'augmentent pas indéfiniment, et pour les entreprises touchées par l'insolvabilité du secteur immobilier". Déjà, les ventes résidentielles ont chuté de 28,6 % sur un an.


Qu’importe, Xi croit dur comme fer à sa politique et personne d’ailleurs n’ose le contredire. L’un des points clefs de ce 20e Congrès sera ainsi de couler les fondations de la croissance à venir avec l'objectif ambitieux de doubler le PIB chinois, ainsi que le revenu par habitant, d'ici 2035. Pour Xi Jinping c’est la base du "grand rajeunissement" de la nation chinoise.
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Sous couvert de lutte contre la corruption, une machine à broyer les oppositions
Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping fin 2012, près de 5 millions de membres du Parti communiste ont été pris dans le filet de sa campagne anti-corruption menée tambour battant pas la toute puissante Commission centrale d'inspection de la discipline (CCDI).
À l’approche du Congrès, la chasse s’accélère. Au cours du premier semestre, le gouvernement a ainsi sanctionné 21 cadres au niveau provincial et ministériel ou à un niveau supérieur, et 1.237 cadres au niveau des districts et des départements avec une attention toute particulière apportée aux agences de sécurité et de renseignement. En janvier, la télévision d'État a diffusé les aveux de Sun Lijun, ancien haut responsable de la sécurité, accusé de corruption. Il risque maintenant d'être exécuté.
"Il ne faut pas s’attendre à un relâchement des efforts du Parti en matière de lutte contre la corruption", explique Wang Xiangwei, éditorialiste au South China Morning Post de Hong Kong. "Xi l'a promis à plusieurs reprises et la campagne est effectivement devenue l'un des outils les plus efficaces pour inculquer la conformité et la loyauté politiques aux 97 millions de membres du PCC".
Lorsque Xi a lancé sa campagne disciplinaire il y a dix ans, le CCDI a clairement indiqué qu'elle viserait principalement les fonctionnaires en poste. Cela a donné de faux espoirs à ceux qui ont pris leur retraite avant que la ligne rouge ne soit tracée.
Tout a changé l'année dernière lorsque Cai Esheng, un ancien haut fonctionnaire du secteur bancaire, a été arrêté pour corruption, près de neuf ans après sa retraite. Xi a également ordonné l’année dernière à une équipe spéciale de se rendre en Mongolie intérieure, une région riche en charbon, pour enquêter sur la corruption dans l'industrie des combustibles fossiles de la région depuis 20 ans, ce qui a fait frémir la plupart des responsables locaux. Cette enquête a déjà donné lieu à de nombreuses arrestations.
Mais le CCDI est aussi un formidable outil pour écarter les éventuels opposants. Selon les médias d'État, elle surveille désormais les activités des fonctionnaires hors de leur fonction. Par exemple, ses agents scrutent régulièrement les allées et venues dans les restaurants chics pendant les vacances nationales. Certaines autorités locales ont même lancé des avertissements publics aux fonctionnaires pour qu'ils ne soient pas vus en train de flirter avec des jeunes femmes.
Les responsables sont également tenus par la direction du Parti de fournir des informations détaillées sur leurs actifs financiers, y compris les actions, les dépôts bancaires et autres investissements.
La récente série d’arrestations et d’enquêtes pour corruption montre que le Parti est loin d’avoir atteint son objectif déclaré de garantir que les fonctionnaires chinois "n'osent pas, ne peuvent pas et ne veulent pas" être corrompus selon le discours officiel.