Aliments anti-coup de froid & coupe-feu

Aliments anti coup de froid & coupe-feu
SCE 02 / 2020
Par Philippe Sionneau

Philippe Sionneau a étudié la médecine chinoise à la Hubei University of Chinese Medicine, à Wu Han. Cet expert en médecine chinoise a déjà publié plus de 25 ouvrages sur le sujet et enseigne cette médecine millénaire à travers le monde.


Article
Comme l’affirmait Hippocrate, l’alimentation est la clé de la santé. C’est sur ce même principe que l’Empire du milieu a fondé sa médecine : pour fonctionner, l’homme doit comprendre ses besoins et ses capacités, et inscrire son ali­mentation dans un tout cohérent en accord avec les cycles de la nature et son propre cycle biologique.
Au fil des siècles, la tradition chinoise a ainsi appris les propriétés subtiles des aliments en suivant les lois du Yin et du Yang et des cinq mouvements, en prenant en compte la nature, les sa­veurs, les affinités de tel aliment avec tel organe, la propriété asséchante ou humidifiante, etc.

Un art culinaire qui prévient et guérit
En Chine, la santé a toujours été très orientée vers la prévention des maladies et la recherche d’une existence saine et harmonieuse. L’objectif premier de la diététique du quotidien est donc de« prévenir la maladie avant qu’elle n’apparaisse ». Ce concept de pré­vention est fondamental dans la médecine chinoise. C’est au ministre et cuisinier Yī Yǐn 伊, de la dynastie Shang, que l’on attribue une parole célèbre soulignant bien ce concept : faisant un parallèle entre l’État et le corps humain, il dit à son roi : « Creuser un puits quand vient la soif et fabriquer des armes quand la guerre commence, n’est-ce pas un peu tard ? ». Cette sentence montre combien les Chinois, il y a plus de 10 000 ans, avaient déjà conscience de l’intérêt de la prévention, notam­ment à travers l’alimentation. Ce fut la base du développement de la diététique chinoise.


Des médicaments dans votre assiette
Si la pathologie s’installe malgré toutes les mesures préventives ou si la guérison n’est pas complète, les médecins chinois utilisent les autres techniques à leur disposi­tion : acupuncture, moxibustion, phytothérapie, massages, mani­pulations. Mais c’est surtout les aliments dont ils connaissent très précisément les propriétés que les médecins chinois vont utiliser. Cette « thérapie par les aliments » est nommée Shi Liao (食疗), que l’on pourrait traduire aussi par « traitement par les aliments ». La diététique occidentale moderne décrit les aliments selon une ap­proche quantitative, en termes de calories, protides, glucides, lipides, vitamines, minéraux, oligo-élé­ments, etc. Quand la diététique chinoise s’est développée il y a 2000 ans, tous ces concepts n’exis­taient pas. C’est donc selon d’autres critères qu’elle étudia avec pré­cision les aliments et leurs effets sur l’organisme. Les aliments sont considérés d’une manière plus qua­litative, selon leurs propriétés en termes d’effets sur l’organisme : leur nature, leurs saveurs, leurs tropismes.
La diétothérapie consiste en une réforme alimentaire (aliments re­commandés, aliments déconseillés, voire interdits, modes de préparation des aliments, hygiène diététique, etc.) et des recettes culinaires cu­ratives adaptées à des pathologies précises.
Car la majorité des aliments possèdent des vertus médicinales comme les plantes. Certes les aliments n’ont pas toujours la puissance d’une plante médicinale. Cependant, dans une grande variété de maladies elle peut servir d’appoint ou de thérapeutique principale.

Cette diététique thérapeutique, « mé­dicale », est prescrite par un praticien de médecine chinoise et vise à traiter le patient présentant une maladie par­ticulière. C’est le cas pour traiter par exemple les pathologies de l’hiver en lien avec un refroidissement.

Dans votre placard de cuisine... des trésors de médecine ! (encadré)
Certains aliments ont des vertus médicinales très puissantes. C’est le cas du :
- Le céleri branche : il abaisse le yáng du foie et traite l’hyperten­sion artérielle.
- La courge amère : elle lutte contre l’obésité et le diabète, c’est un bon anti-inflammatoire.
- Piment de Cayenne : c’est un puissant remède anticancéreux, un antalgique, un antiémétique, un antidiarrhéique.
- Le poivre de Shichuan : il lutte contre les troubles digestifs de type vide de yáng et contre les parasites.

Fin de l’encadré.

9 recettes anti coup de froid
Les Asiatiques utilisent les aliments en vue de nourrir le corps, comme chez nous. Mais les médecins chinois utilisent les aliments comme médi­caments. Ils ont observé leurs effets sur le corps et les ont employés à des fins thérapeutiques. Voici quelques exemples d’application du traite­ment des maladies de l’hiver par les aliments.
1. De l’ail et du gingembre contre les symptômes grippaux
Coupez en tranches 15 g d’ail, 15 g de gingembre frais et rajoutez un bol d’eau. Faites bouillir jusqu’à ce que cela réduise à la moitié d’un bol et, à ce moment-là, ajoutez un peu de sucre de canne intégral selon votre goût. Prenez une fois avant le cou­cher ou une fois dans la journée en allant juste après sous une couette afin de favoriser la sudorification.
Cette recette de diétothérapie est indiquée en cas de syndrome grip­pal ou refroidissement induit par un vent froid. Les symptômes princi­paux sont : fièvre et crainte du froid (frissons), absence de transpiration, nez bouché, voix rauque, éternue­ment, écoulement nasal clair, toux avec expectoration de mucosités claires et fluides, aphonie, dyspnée, céphalée, enduit fin et blanc, pouls flottant (fú 浮). Ail et gingembre, tièdes et piquants, dispersent le vent froid et libèrent la surface. On sait aujourd’hui que ces deux aliments sont aussi des anti-infectieux.
Image : racine de gingembre. Observez la fraîcheur de la racine (non ratatinée) et le nbre de ramification (3 maxi) pour déterminer le dynamisme de la plante (nutriments présents).
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Une décoction de gingembre frais est un remède idéal contre les symptômes grippaux et les rhumes
Commentaire (NDLR) : Je mets une rondelle d’un ½ cm d’épaisseur et du poivre noir au moulin (4  tours de moulin) infusé 7 à 10’ dans 500 ml d’eau minérale. Tisane après repas.

2. De la coriandre et du gingembre dès les premiers symptômes de fièvre
Faites bouillir le tout dans un bol d’eau, à feu vif pendant 5 minutes : 30 g de feuilles de coriandre fraîches, 10 g de gingembre frais, puis laissez infuser jusqu’à ce que la préparation devienne tiède et buvable. Répétez la même opération 2 fois dans la jour­née. Les feuilles de coriandre et le gingembre frais sont deux substances médicinales de la pharmacologie chinoise qui, tièdes et piquantes, chassent le vent froid, libèrent la surface, favorisent la sudorification et traitent ainsi l’atteinte initiale du premier jour ou du deuxième jour des refroidissements. Cela évite fièvre, frissons, courbatures, et écourte l’infection.

3. Du blanc de ciboule et du gingembre pour transpirer et éliminer
Faites une décoction dans 250 ml d’eau avec 20 g de blanc de ciboule et 20 g de gingembre. Eventuellement, ajoutez du sucre de canne intégral hors du feu. Consommez chaud. Couchez-vous immédiatement sous les couvertures, restez au chaud jusqu’à ce que vous transpiriez. Cette sudorification atténue les symp­tômes, élimine la fièvre, combat les virus ou les bactéries. Cette recette fonctionne bien pour le stade initialdes rhumes, grippes et autres infec­tions du système respiratoire.

4. La carambole apaise les douleurs de la gorge
Mangez 2 caramboles crues 2 fois dans la journée. La carambole clarifie la chaleur et élimine la toxicité. Pour le mal de gorge, mastiquez et avalez progressivement des bouchées de carambole.

5. En cas de toux sèche (refroidissement ou allergie), du sésame noir :
Infusez 12 g de graines de sésame noir crues concassées dans 125 ml d’eau bouillante. Ajoutez un peu de miel et consommez à jeun, 1 fois par jour pendant 3 à 6 jours. Dans ce cas, évitez cependant les fruits de mer et les aliments trop salés.

6. Pour les toux grasses (avec mucosités), priorisez le radis blanc et les poires
Hachez grossièrement 100 g de radis blanc (Daikon) et 100 g de poire. Faites-les cuire dans 250 ml d’eau. Rajoutez un peu de miel avant de consommer le tout, 2 fois par jour pendant 3 jours. Ce remède arrête la toux et dissout les mucosités. Evitez là aussi les fruits de mer. Ce remède est surtout expectorant. Il favorise l’évacuation des mucosités, ce qui est fondamental quand elles sont abondantes. Cependant, si au bout de trois jours les mucosités sont encore abondantes et deviennent marron ou vertes, c’est que l’infection s’ag­grave, il faut utiliser un autre remède. Ce remède fonctionne aussi en cas de trachéite aiguë, bronchite aiguë, y compris chez les enfants.

7. En cas de toux chronique, le gingembre est idéal
Si votre toux ne s’arrête pas, versez en même temps dans une marmite 300 ml de jus de gingembre frais et 300 ml de miel et cuire jusqu’à ce que ça devienne épais et collant comme une pommade. Une fois cet état at­teint, coupez le feu, laissez refroidir et mettez dans une bouteille pour gar­der cela en réserve. A chaque usage, faire dissoudre 20 ml dans de l’eau bouillante puis boire le tout 3 fois par jour. C’est une recette populaire qui peut être utilisée à partir du moment où il n’y a pas fièvre ou des mucosités jaunâtres ou abondantes. Elle est plusadaptée à la bronchite chronique par vide de qì et/ou de yīn du poumon. Malgré son apparence, le gingembre frais contient une bonne quantité de jus. Il suffit de l’extraire avec une centrifugeuse.

8. L’algue laminaire pour la pharyngite chronique
Lavez et découpez en petits mor­ceaux 500 g d’algues laminaires réhydratées. Une fois cuites, les sortir de l’eau. Ajouter 200 g de sucre et mélanger. Après avoir laissé imbiber 1 jour durant, on peut les consommer. Mangez 50 g à chaque prise, 2 fois par jour. Ce traitement de diétothérapie chinoise tend à humidi­fier le poumon, clarifier la chaleur et à éclaircir la gorge. On doit obtenir un résultat en une à deux cures de 5 jours.

9. Contre la laryngite avec gorge sèche, un champignon
Moudre en poudre fine 50 g d’auri­culaires séchés. Au besoin, faites-les sauter à sec quelques instants dans une poêle pour les rendre plus crous­tillants et ainsi plus facile à moudre. Mélangez 1 cuillerée à soupe de cette poudre avec ½ cuillerée à soupe de miel puis consommer. Faites cela 2 à 3 fois par jour pendant 5 jours. Cette méthode est utilisée quand la maladie se déclare, et en prolongeant le traitement quelques jours après disparition des symptômes, on peut éviter les rechutes. Évitez la consom­mation d’aliments piquants pendant le traitement.

L’auriculaire est le champignon « chinois » noir, quelque peu trans-lucide, ondulé, « frisé » et plutôt plat qui a une consistance un peu croquante caoutchouteuse (comme les algues). Il est disponible dans la plupart des grandes surfaces et des magasins de produits asiatiques. L’auriculaire humidifie le poumon, nourrit le yīn. Il est aussi utilisé comme remède populaire pour les in­flammations de la gorge plus aiguës à condition qu’elles s’accompagnent d’une sensation de sécheresse. Ce même traitement peut être utilisé en cas de pharyngite chronique, tou­jours avec une notion de sécheresse de la gorge.

Des épinards pour calmer votre foie (encadré)
À partir de la connaissance des propriétés médicinales des ali­ments et après un bilan précis du patient, le diététicien chinois va élaborer un plan thérapeutique. Par exemple, pour un syndrome dénommé « feu du foie », avec des signes comme teint et yeux rouges, vertiges, céphalées, acouphènes, douleur de la région thoracique latérale, irritabilité, colère, cauchemars, gorge sèche, goût amer dans la bouche, saigne­ment nasal, constipation, miction jaune, les bords et la pointe de la langue rouges, l’enduit de la langue jaune, le pouls en corde (xián 弦) et rapide (shuō 数). Le principe de traitement consistera à drainer le feu et clarifier le foie.
Et cela peut être fait avec l’aide de certains aliments, ce que j’appelle les aliments-médicaments qui sont à la frontière entre l’aliment et la plante médicinale. Dans le cas du feu du foie, nous favoriserons ainsi certains aliments spécifiques comme l’algue laminaire, le céle­ri, l’épinard, la menthe (feuilles + tiges en infusion), la fleur d’oran­ger (en infusion), la poire, etc. En outre, on recommande de ne plus consommer d’aliments échauf­fants, frits et piquants, l’alcool, etc. mais on préconise les aliments de nature froide ou fraîche et de saveur amère.
Source : À la recherche de l’immortalité, les Chinois découvrent les remèdes anti-froid.
Par Philippe Sionneau, expert en médecine chinoise.